lundi 12 mars 2012

Le génie des élèves: et de ceux qui le furent, suite...





En cinquième, mon professeur de français était très très chic et très âgée. Pourtant, les rides qui parcouraient son visage n'arrivaient pas à masquer la beauté de la femme qu'elle avait dû être dans sa jeunesse. Son parfum, bien qu'un peu agressif lorsqu'on était au premier rang, était délicieux dans les rangées du fond. Elle ne se déplaçait jamais, passant ses cours derrière un bureau dont chaque objet connaissait sa place: les clés de voiture là, la trousse ici, la boîte de craies un peu plus loin. Ses jupes droites laissaient apparaître des genoux gracieux quand ses jambes se croisaient sur le côté. Droite et digne comme une gouvernante, elle tenait ses classes par sa seule présence et j'aimais ça.
Un jour, elle nous proposa comme sujet de composition écrite, de raconter un après-midi pluvieux de bricolage. Je pris ma plus belle plume quatre couleurs mâchouillée en son extrémité et me lançai dans un récit gothico-romantique. Il faut dire qu'à cette époque, j'étais le plus assidu téléspectateur de la "Dernière séance". Non seulement je regardais le premier film mais le second, surtout s'il s'agissait d'une production de la Hammer. Mes amis s'appelaient Bela Lugosi, Boris Karloff, Christopher Lee pour ne citer que les meilleurs.
Dans ma rédaction donc, je racontais comment j'avais donné vie à une créature en allant déterrer des cadavres dans le cimetière de mon quartier. L'idée géniale, je me vois encore rire de satisfaction en rédigeant, c'était que j'assemblais des membres qui, dans la vraie vie, étaient incompatibles : la jambe d'un boucher avec le pied d'un vétérinaire, le bras d'un garde-champêtre avec la main d'un pyromane, le cou d'un gendarme avec la tête d'un voleur etc... Lorsque la créature prenait vie, les membres partaient de tous les côtés et elle se re-disloquait. J'étais convaincu d'avoir fait un chef-d'oeuvre.
Deux jours plus tard, le téléphone sonna alors que nous soupions. A cette époque, lorsque le téléphone sonnait c'était soit pour annoncer un drame, soit que la personne se trompait de numéro. Ma mère alla décrocher et nous la regardions tous. Son visage d'habitude plein de soleil, se décomposait à vue d'oeil. Il finit même sans forme. Elle raccrocha puis revint à table telle un zombie.
- C'était ta prof de français. Elle m'a demandé si tout allait bien à la maison et si tu étais normal. J'ai un rendez-vous avec elle jeudi à la récréation. Elle est très inquiète.
A partir de ce jour, je n'ai plus aimé le parfum de mon professeur, même dans les rangées du fond.
Aujourd'hui, inspecteurs, inspecteurs généraux, conseillers pédagogiques louent mes qualités de pédagogue, l'originalité de mes sujets et la façon ludique dont j'enseigne. Je suis même devenu " Formateur de bassins" avec d'autres collègues qui un jour, n'ont plus apprécié le parfum des dames chics.

8 commentaires:

Blogger Association des amis du musée Mélik a dit...

... un pied droit de footballeur et un pied gauche de rugbyman, un coeur de vieux et un cerveau d'enfant, une main droite de prof, la gauche d'un élève... le concept est plein de potentialités et de combinaisons : c'était aussi une réflexion sur la notion d'harmonie... tu étais trop en avance sur ton temps, ta prof n'a rien compris.

12 mars 2012 à 21:59  
Anonymous Olivier a dit...

Le cerveau de Brandao et le pied gauche de Messi, l'index de la main droite de Dujardin et tout le reste de Chaplin...

13 mars 2012 à 07:54  
Anonymous Prof2conjugézon a dit...

Ne t'attends à rien de bon de la part des profs de dictée, surtout si elles sont parfumées! Si tu savais...

13 mars 2012 à 21:05  
Blogger Association des amis du musée Mélik a dit...

Qui est-ce qui dit du mal de Brandao ici?

13 mars 2012 à 22:53  
Anonymous Olivier a dit...

C'est vrai, je retire... Et puis il est du niveau de Messi puisqu'il invente des gestes comme l'amorti du dos!!!

13 mars 2012 à 23:21  
Anonymous Bru a dit...

Cela me rappelle le jour où notre prof de français n'ayant pas "assez de notes pour le trimestre" nous a improvisé une "interro" de vocabulaire. Nous étions en BTS et j'ai voulu élever le niveau…

Lorsqu'à la définition de AGORA, j'ai répondu : "félidé sans haine", et qu'elle m'a mis zéro (les autres réponses étaient à l'avenant), j'ai compris que je ne pourrais rien en tirer ! (Bon, ma moyenne en a pris un coup, mais que ne ferions nous pas pour l'art ?!)

Arhh, je suppose que ce n'est pas un métier facile, mais quand même, l'esprit est un atout indispensable à la pédagogie non ?

Bru, de la planète Apt
(monsieur Olive, j'aime beaucoup ce que vous faîtes, c'est vivifiant. Le bonjour au Fréro si tu le vois bientôt)

20 mars 2012 à 19:22  
Anonymous Olivier a dit...

Salut Bruno, content d'avoir de tes nouvelles. Et merci de suivre ce blog que je veux, comme tu le dis si bien, vivifiant. Je crois que ta prof t'a mis zéro parce que tu devais encore avoir ta crête de psycho-billy, et cela passe très mal dans les couloirs de nos écoles. A très bientôt j'espère.

20 mars 2012 à 20:12  
Anonymous Bru a dit...

Même pas ! Mon alter-ego étant parti manger de la saucisse en Alsace, je ne pouvais plus assumer cette excentricité tout seul !

Non, d'expérience, peu sont les profs de Français a récompenser la non conformité (à part peut être M. Noëlle ?!). C'est bien dommage.

La bise et à très bientôt peut être.

21 mars 2012 à 11:13  

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