lundi 8 octobre 2018

Le génie des élèves et de ceux qui le furent: une histoire de cheveux.







 Je dépose ma femme à son travail. Je la regarde s'éloigner et ouvrir la grille de la porte d'entrée. Quelques mètres, quelques pas, et elle disparait en m'adressant un sourire plein de promesses. Marche arrière. Chemin creusé d'ornières. Quelqu'un me laissera passer. C'est lui, dans sa belle voiture allemande. Il me fait signe de la main. Je lui renvois la politesse d'une même main amicale. Je m'arrête à la boulangerie prendre mon cappuccino. J'aime bien les commises. Deux soeurs qui se ressemblent comme des jumelles mais qui ne le sont pas. Elles ont sept ans d'écart. L'une ou l'autre m'offre toujours une viennoiserie. Je suis gêné car cela devient systématique. Les clients me regardent d'un air étrange pas encore envieux, mais ça viendra. Je m'installe seul à la table que ma femme et moi occupons d'habitude. Elle dos au soleil et moi, en face. Ses cheveux, sous la caresse des rayons, ressemblent à une terre promise. Comme elle n'est pas là, j'observe un peu plus les gens qui m'entourent. Ce sont les mêmes, toujours les mêmes mais avec un WE en plus dans les dents. Certains s'apprêtent à partir travailler, d'autres resteront là toute la journée et mesureront le temps à mesure de le voir passer. Je suis très en avance. Alors je prends un peu du temps à ceux qui en ont trop. Il commence à pleuvoir. Je prends la route du collège. Me gare devant. C'est rare, j'en suis très heureux. Je me grille une dernière cigarette et fait un large sourire au monsieur de la maison d'en face. Il est assis dans sa cuisine avec un gros casque sur les oreilles et s'agite sur le clavier de son portable. Je sais pas ce qu'il fait dans la vie. Mais je l'aime bien. Il a une bonne gueule. Sa femme aussi est jolie. Ils forment un beau couple. J'ai vu la jeune mère enceinte. J'ai vu le bébé. Les parents et les beaux-parents devenir grands parents. J'ai vu la fillette en poussette. Grandir. Marcher. J'ai vu la jeune élève entrer en maternelle avec un joli cartable sur les épaules. J'aime cette famille. Je ne sais même pas leur nom. Mais je m'en fous. Je ne veux pas plus les connaître. Notre attention les uns pour les autres me comble de bonheur. Ils font absolument partie de ma vie. Parfois j'angoisse à l'idée qu'ils puissent se séparer. Je me vois sonner chez eux: non, ne faites pas ça. Vous êtes beaux et amoureux pour toujours. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Ne vous quittez pas. Vous ne trouverez pas mieux que vous ailleurs. Et quoique fut la faute de l'un ou de l'autre, je vous en supplie, gommez-la de votre réalité pour continuer à vivre votre passion. Oui, j'ai tendance à m'emballer lorsque il me semble toucher l'idée du bonheur. J'écrase ma cigarette. Saisis mes sacs et regagne ma salle. Devant la porte, trois, quatre et bientôt dix élèves m'accueillent.
- Monsieur on peut venir avec vous?
- Bien sûr, vous êtes ici chez vous.
 J'ouvre ma session d'ordi. Sors mon Zap Book.
- Qui je dessine?
- Moi, m'sieur!
- OK. Bouge plus.
- Après vous me ferez à moi?
- Oui!
- Et à moi?
- Oui!
- Et à moi?
- Oui!
Un élève de quatrième entre dans la classe.
- Bonjour m'sieur.
- Bonjour!
- C'est quoi ce temps. Il pleut. Il fait soleil. Il est bipolaire ou quoi.
Cette phrase me fait beaucoup rire. Et je reprends les traits serrés et en arabesque qui dans quelques minutes formeront la belle chevelure de mon modèle.

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]

<< Accueil