mardi 23 septembre 2014

Le génie des élèves et de ceux qui le furent; une centrale c'est peut-être moche, mais une cuillère à café c'est dangereux!!!

Lorsque je me rends au collège, je passe devant l'immense centrale de Gardanne. Personne n'aime les centrales parce que c'est moche et dangereux. Moi, je les trouve esthétiquement intéressantes et relativement dangereuses. Parfois, comme ce matin, la lumière naissante du jour les pare de sublime.
 Je suis dans l'établissement très tôt, bien avant l'heure de l'ouverture des grilles. Dans la salle des professeurs, les trois dames de service sont autour du vieux distributeur de boissons chaudes. Elles touillent en parlant de tout et de rien, mais surtout de rien. Après avoir déposé mes affaires sur la table recouverte de listes d'élèves, de prospectus syndicaux, de tout ce qui fait le charme de l'antre de l'enseignement, je retourne à la machine à café et tape la bise.
- Excusez-moi les filles, dis-je avec mon sourire du matin.
- Hop là... Pardon, je suis toujours au milieu, comme les jeudis, articule la plus grande.
Puis elle me parle de sa fille qui se réééégale en arts plastiques. C'est gentil. Tout en l'écoutant, j'appuie  machinalement sur le gros bouton de plastique gris. Grrrrrrrrrrr fait la vieille machine fatiguée. Je récupère mon gobelet qui ne contient pas le thé de mon choix, mais bien un énorme Cappuccino avec une grosse mousse comme celle des bords de quais du Vieux Port. Je me suis trompé, mais je ne jette pas si facilement 40 centimes. Je continue d'écouter la maman dont la fille se "réééééégale en arts plastiques" et porte le liquide à ma bouche qui n'a de Cappuccino que le nom. Je bois et la petite cuillère transparente qui était cachée par l'abominable mousse, se coince dans ma gorge. Je racle comme un vieux fumeur crache ses poumons, mais rien n'y fait. La maman de l'élève qui se "rééééégale en arts plastiques" continue de me parler croyant que je fais l'idiot. Comment lui en vouloir??? Je passe ma vie à faire l'idiot. Pourtant, à cet instant, je suffoque et rougis à faire pâlir la plus belle fraise des bois. Je pense mourir. C'est pour maintenant, ici, devant la machine à café. Je suis vraiment très mal et, comme disent ceux qui reviennent d'entre les morts, je vois ma vie défiler. Elle s'arrête longtemps sur l'épisode de mon adolescence. Merde, j'étais pas très jojo avec ces boutons, ce duvet et cette coupe de cheveux. Me voir si moche, décuple mon instinct de survie. Je ne veux pas mourir avec cette image décevante de ma jeunesse. Ce serait trop injuste.
 Je jette le gobelet au sol et plonge mon pouce et mon index droits au fond de la bouche et plus profond encore, pour saisir la petite cuillère de plastique. Je l'attrape juste à l'instant où, je suppose, elle allait basculer et arrêter définitivement mon souffle.
Autour de moi, les trois dames sont figées.
- Ho con, j'ai cru mourir!!!
Je trouve les centrales esthétiquement intéressantes et les Cappuccino à grosse mousse chimique relativement dangereux.

3 commentaires:

Anonymous Anonyme a dit...

Ce texte est un chef d'oeuvre et je pèse mes mots.

23 septembre 2014 à 17:37  
Anonymous Pascale a dit...

Magnifique ! Et tellement drôle...

Bravo, bravo ! Quelle plume !
Rooooooh

24 septembre 2014 à 20:57  
Anonymous ...pour-celui-qui-n'y-va-pas-avec-le- dos-de-la-cuillère...:( a dit...


Ourf !!!!!!!!.................................bouleversant.............................:(

26 septembre 2014 à 15:38  

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