Le génie des élèves et de ceux qui le furent: le chauffage à son papa.

 La salle d'histoire des arts jouxte la salle d'arts plastiques. Aujourd'hui, c'est ma collègue et amie qui occupe la première et moi, je range la seconde. En effet, nous allons recevoir de gros ordinateurs (spécial montage) et un scanner A3 et il faut dégager tout un pan de mur afin que nous puissions faire installer une gouttière PVC pour les prises car, comme le dit monsieur l'intendant:" on n'a plus le droit d'utiliser des multi-prises rapport aux nouvelles normes de sécurité".
 Quelques élèves qui ont pris l'habitude de venir dans ma salle pendant les heures creuses, me donnent un coup de main. Nous poussons de grosses armoires comme celles de la sécu dans les années 70, des caisses métalliques vertes de l'armée, des tables d'une tonne et, chemin faisant, nous découvrons d'étranges choses. La plus surprenante, reste un vieux radiateur gris à roulettes sur le devant duquel est écrit: FOYER. Le fil de l'alimentation lui donne l'allure d'un chien abandonné sur une aire d'autoroute en plein coeur du mois de juillet. Il ne m'en faut pas plus pour aller balader l'engin dans les couloirs et surtout, dans la salle d'histoire des arts.
- M'sieur, vous allez pas faire ça???? Me demande une élève qui me connait pourtant très bien.
- Et pourquoi??? T'aimes pas les animaux???
- Mais... Mais... C'est que....
- Je vais lui faire prendre l'air. Je pense qu'il est content de nous voir... Regarde comme il est heureux!!!
L'élève comme ses camarades restent interloqués. Je me saisis de la laisse du radiateur et nous partons en promenade. Le chien couine et semble un peu bancal. Pour ne pas le brusquer, je marche doucement sans trop tirer sur le lien. Il me suit, penchant à droite puis à gauche, puis encore à droite.
 Comme toutes les personnes qui possèdent un animal de compagnie, je deviens con parce que je lui parle comme à un petit enfant. Les élèves sont hilares.
- Allez, viens ma beauté, viens à papa!!!! Meuuuh oui, c'est la beauté à son papa!!!
Les élèves ne savent plus s'il faut rire, avoir pitié ou appeler le SAMU. Moi, je suis habité par mon rôle. Je frôle le génie, j'excelle!!! Je ne vois plus un chauffage, mais bien un chien avec sa race et son caractère. Je suis dans la lignée des grands comédiens de l'Actor Studio. Al Pacino n'a qu'à bien se tenir. A l'instant, il ne m'arrive pas à la cheville... Le pauvre!!!!
- Ho que t'es beau. Meuuuuh oui, papa t'aime.
Nous sommes dans la pénombre du couloir, d'autres élèves s'agrègent au groupe, direction la salle d'histoire des arts. J'ouvre la porte sans taper, ma collègue se tient debout et parle de la notion de paysage. C'est un excellent professeur. Elle me tourne le dos, mais ses élèves me voient.
- Allez, va faire la bise à tata... Allez, va!!!
Ma collègue me connait par coeur mais là, elle reste perplexe, presque inquiète.
Je lâche  la laisse, pointe le doigt en m'adressant au chauffage-chien.
- Allez, va dire bonjour à tata!!!!
Je me tapote les genoux en dodelinant de la tête. Comme mon animal de compagnie ne bouge pas, je me saisis d'une brosse à tableau et la jette au milieu de la classe.
- chope, chope la!!!!!
Ma collègue, ses élèves comme ceux qui me suivent, vivent l'expérience comme une performance... Enfin, je suppose car je les vois hésiter entre applaudissements et désespoir. Moi, je jubile. Si je n'ai pas de César, c'est que l'Académie est un nid de magouilleurs.