C'est chez MAKERS, 10 rue de l'Opéra à Aix-en-Provence, qu'aura lieu le vernissage de mon exposition le 21 avril à partir de 19h. Un DJ "ambiancera" l'évènement
FACEBOOK
|
Oui, c'est moi avec mes jolies bottines toutes mouillées. |
Quatre textes pour quatre séries.
Série
Selfie.
L'instantanéité
d'un selfie, avec ses codes et ses poses, trouve sa légitimité dans
un abandon sans pudeur parce qu'il est destiné aux autres avant de
l'être à soi. L'étendue d'eau dans laquelle se reflète Narcisse
est réduite à quelques centimètres carrés d'écran lumineux :
regardez comme je suis belle, beau, comme nous sommes heureux, ici et
n'importe où, n'importe quand. Nous avons tous des gueules
différentes mais des poses identiques. La technique du selfie impose
un cadrage unique et contraignant. Devant la tour Eiffel, une plage
des Caraïbes ou le Machu Pichu, notre allure est celle de celui qui
se regarde à défaut de regarder le monde dans lequel il s'inscrit
et se déplace. Il existe des milliers de paysages extérieurs et
intérieurs, il n'existe qu'un selfie. Même la perche n'a pas la
vertu de nous intégrer au point de nous transformer en voyageurs
plutôt qu'en figurants. Le principe de l'auto-promotion
photographique nous place sur le grand échiquier d'un casting que
nous passerions pour incarner le personnage principal de notre propre
vie. Avec le risque fou, de n'être pas choisi. Ne pas correspondre à
l'image que je me fais de mon propre personnage, n'est-ce pas le
comble du comble de l'ironie ? Le selfie fait de nous des
figurants défigurés et défigurant tous les lieux dans lesquels
nous pensons briller. En fait, il nous fait perdre la figure et vide
l'image de sens. La plus-value de cette dernière se jouera à
postériori, à coup de like(s) ou de commentaires et sa vitalité
comme sa pertinence iconographique se mesurera par la grandeur ou
l'échec de la récolte : vous êtes trop mignons, tu me fais
rêver, c'est beau, t'as de la chance, je t'envie, on se revoit
bientôt, je vois que l'altitude a les mêmes vertus que l'alcool, la
vie est belle, dieu est grand, nos retrouvailles vont être magiques,
merci ma chérie... Et puis, on peut rajouter des émoji(s), sortes
d'images dans l'image, qui résument une pensée que nous mêmes ne
saurions résumer. L'image intime est parasitée par les images, les
signes et les commentaires qu'elle agrège autour d'elle. Le selfie
nous vide de sang (vitalité) à l'endroit où il nourrit les autres,
sortes de vampires aux canines aiguisées par la frustration. Oui, il
y a toujours plus heureux, plus beau, plus fort, plus riche, plus
intelligent que soi. Nous le savions, mais les réseaux sociaux nous
le rappellent chaque seconde, chaque instant laissé vacant. Nous ne
sommes plus en vacances de nous-mêmes et puis des autres. Nous
bougeons tous, et pourtant, nous restons des voyageurs immobiles
vivant l'ailleurs par procuration en pensant que l'herbe y est plus
verte.
Mes
dessins de selfie, saturés au stylo Bic, interrogent cette perte
d'identité à l'instant où l'on pense en avoir une et la mettre en
scène. Le selfie devient une sorte d'émoji de lui-même, une mise
en abîme du contentement de soi par le parasitage de tous signes
distinctifs. Une seule image, pour des millions de personnes.
La
série des dessins au stylo Bic noir questionne un autre aspect des
images qui nous sont adressées chaque jour.
La
photo d'information, plus généralement appelée journalistique est
d'illustrer un événement heureux ou dramatique. Elle doit avoir la
double vertu, pour ne pas dire pertinence de résumer une idée et
d'incarner une émotion. Elle joue sur le tableau du sentiment, sans
doute trop souvent. Comment alors, doser son empathie, dans un monde
médiatique qui passe allègrement d'une attaque chimique en Syrie à
la victoire d'une équipe de football en coupe d'Europe ? Dans
le Breaking-News, où se trouve l'espace de réflexion, de
respiration qui permet de reprendre ses esprits, donc ses émotions,
pour ne pas uniquement tomber dans le sensationnel ? Nous
autorise t'on encore le simple espoir de ne pas être juge et
partie ? Pouvons nous encore envisager le temps d'une analyse ?
Le
dessin, parce qu'il est une pratique lente basée sur l'observation
et à rebours de la fugacité, questionne ce rapport à la
photographie documentaire. Il est une pédale de frein sur laquelle
on appuie avec plus ou moins de force pour jouer avec le temps de la
réflexion, ralentir, s'arrêter.
Ici,
le travail est basé sur la contrainte.
Une
feuille de dessin de mauvaise qualité au format A5.
Une
photographie tirée du journal Libération, que j'achète parce que
mon buraliste en cale juste un et avec honte entre le Figaro,
Valeurs Actuelles et autres journaux de droite et un peu plus
encore. J'aime montrer, par des signes extérieurs de lectures
quotidiennes, que je suis de gauche. C'est un luxe que je peux me
payer.
Un
stylo Bic noir neuf.
Le
dessin s'arrête lorsqu'il n'y a plus d'encre. On peut tracer une
ligne continue de 1 km avec un stylo bic avant qu'il ne rende l'âme.
La
mise en oeuvre, les outils et les supports sont pauvres, seule compte
en fait, la capacité du dessinateur à ne pas sortir de l'image,
c'est à dire de la concentration. Le stylo Bic ne peut être gommé.
Et s'il y a erreur, il faut faire avec. Des accidents graphiques,
même s'ils sont infimes, peuvent parsemer la feuille et dicter leur
loi. L'image n'est donc plus dans la réalité d'une reproduction à
l'identique, mais bien dans la réalité de son propre récit de
fabrication. Dès lors, le dessin sort de son espace informatif et
figuratif, pour atteindre une dimension poétique, détachée de
toute réalité sociale, historique ou évènementielle.
Peut-on
penser voir un beau dessin (entendons ici un dessin bien réalisé)
lorsque celui-ci incarne l'image de la douleur ? De même, un
dessin peut-il être doublement beau s'il montre une image de joie ?
Le graphisme, dans un espace de contraintes, parasite la sémiologie
en faisant surgir une iconographie qui n'est pas celle du départ. Le
papier se gondole, le noir devient rouge ou bleu, la globalité
s'échappe en offrant une multitude de points de vues, l'oeil cherche
l'accroche ou l'accident, le regard se soustrait à lui-même.
Les
contre-dessins sont des images qui naissent à la surface d'une
feuille sur laquelle j'essuie la mine du stylo bille lorsque cette
dernière est aussi parasitée par l'accumulation des résidus
d'encre et de papier. Ils ne représentent rien de plus que la figure
d'une défiguration, une sorte de Sopalin graphique qui n'épongerait
plus, mais révèlerait toujours plus. Un réceptacle par absorpsion.
Série
des crânes.
Le
crâne revient en force. En fait, il n'est jamais passé de mode.
Motif privilégié au travers des siècles de tous ceux qui
s'intéressent à la vanité et à ses représentations, comme aux
amateurs des œuvres qui cultivent la mélancolie ou l'esprit dark.
Il incarne par sa désincarnation, ce qu'est l'homme vidé de vie
tout en restant présent au monde. Il offre une figure universelle et
magistrale à l'absurdité telle que Camus et les existentialistes
l'envisagent : nous savons que nous allons mourir et pourtant,
nous nous battons pour vivre. Nous ne sommes heureux que dans les
efforts que nous fournissons pour mettre en scène notre propre
finalité.
Le
crâne donne de l'homme, une image construite sur le principe de
l'oxymore, digne et pitoyable. Mais un crâne, quoique l'on en pense
et en dise, c'est beau et c'est ce qui se fait de mieux au niveau
design depuis que l'homme est homme. C'est quasiment son génie
« désincrâné ». Un crâne c'est parfait et ils nous
vont comme des gants. Dans mon travail, il n'est pas ce qui reste,
mais bien ce qui apparaît et se construit. Il surgit de nulle part
et se compose uniquement de papiers (préalablement traités de
différentes matérialités) déchirés et la déchirure comme les
superpositions offrent une forme et une carnation, une certaine
vitalité. Si le crâne est ce qui reste, ici, il est ce qui germe.