lundi 22 octobre 2018

Le génie des élèves et de ceux qui le furent: la boucle est bouclée.








J'ai préparé ma salle, et j'attends avec impatience mes terminales L, option de spécialité histoire des arts. Ils ne sont pas là, puisqu'ils sont à Londres et j'avais complètement oublié. C'est pas grave. Au contraire, c'est une aubaine. Je me saisis de mon Zap Book et de ma petite trousse de feutres et tape à la porte de la classe voisine: toc, toc, toc.
- Coucou! Je peux dessiner tes élèves pendant le cours?
- Oui, on va leur demander. Ça vous dérange si Monsieur Mariotti vous dessine?
En choeur.
- Non, au contraire!
- Merci!
C'est un cours de Français en première S et en demi groupe. L'ambiance est studieuse et le professeur est d'une extrême gentillesse. Moi, je suis à l'écoute des faits et gestes. Mon feutre, tout en ligne claire, enregistre les postures, les capte. J'ai l'impression d'écrire une symphonie du trait sur la partition de la ressemblance. Je suis toujours sur la brèche (comme Bertolt). À la fin du cours, les élèves prennent les dessins en photos et parfois les mettent comme images de profils dans les réseaux sociaux. La boucle est bouclée. D'un simple clic, la matière retourne à l'immatériel!
PS: Je suis entrain de travailler sur mon prochain projet graphique. C'est un livre de l'urgence, une sorte de sociologie de l'enseignement en creux. C'est beau. C'est brut et profond à la fois.


dimanche 21 octobre 2018

Profils Voisins, 1.

Thomas, fils de Thibaud.

Thibaud, papa de Thomas.

Depuis un an, nous vivons dans une jolie petite copropriété à St Cannat, Le Carré des Roses. Treize villas mitoyennes par le garage font dialoguer toutes les origines rassemblées autour d'un projet commun, vivre comme si nous étions dans une éternelle colonie de vacances. J'aime tous mes voisins.  Le Maroc, l'Algérie, l'Allemagne, la Champagne, le Sud-Ouest, la Provence, se partagent un hectare de terre au milieu duquel, les enfants jouent dès que l'école n'occupe plus le temps. 
Ce matin, je m'installe à la petite table qui trône devant notre entrée et, cigarette au bec, j'offre mon visage à la chaleur du soleil. C'est l'été sur ma peau. Je pense à Camus et à l'enfance. Je me lève pour aller chercher mon Zap Book. Ressors. Croise Thibaud et Thomas. Je les dessine. Je vais dessiner tous les visages de la résidence. L'idée m'emballe. Je suis heureux comme les enfants qui jouent. Je prends une petite boîte de carton vide et mets le bonheur dedans pour le sentir et le toucher les fois où ça ira moins bien.

 Thomas 3 ans, fils de Thibaud, petite section.
- Thomas, c'est quoi l'école pour toi?
- Je joue dans la cours. Je fais du "tokoban", je joue à "casscass", je mange et je fais des marrons pour les mettre dans les boîtes.

Thibaud 38 ans, papa de Thomas, démineur.
- Thibaud, c'est quoi l'amour?
- La famille, beaucoup d'enfants... Une jolie femme.
- La mode?
- La jeunesse, les fringues hors de prix et la bonne époque.
- L'école?
- Les bons souvenirs. Trop court.
- L'art?
- Des peintures, les jolies décos, le design... Voilà...
- Les réseaux sociaux?
- La nouvelle jeunesse. On est obligés, pour pas être largués, de s'y mettre... C'est l'information. Mais ça gâche le temps... En fait, moi, je passe pas trop de temps dessus. On a fait un groupe Snap avec la famille, parce qu'elle est loin... On s'envoie des photos...
- Merci Thibaud!
- Merci à toi, je peux photographier ce que t'as dessiné et écris? 
- Bin oui!
- Clic, Clic, Clic, Clic.
Hop, dans le téléphone.

samedi 20 octobre 2018

Le génie des élèves et de ceux qui le furent: La veille de vacances, c'est VOGUING.






Les veilles de vacances, avec mes troisièmes, je fais une séance Voguing ( le Voguing est caractérisé par la pose-mannequin, telle que pratiquée dans le magazine américain Vogue durant les années 1960 et lors des défilés de modes, intégrée avec des mouvements angulaires, linéaires et rigides du corps, des bras et des jambes (merci Wikipédia pour la définition).
 Le principe est simple. Les élèves, à tour de rôle, choisissent une musique de leur choix ( il n'y a aucune censure). Ils montent sur une table et doivent enchainer les mouvements en marquant de longs temps d'arrêt dans le bon tempo. Ils s'arrêtent quand la chanson est terminée. Les autres dessinent avec la peur qu'une pose soit trop courte. Systématiquement, j'ouvre le bal. je me suis calé sur Flynt feat JeanJass, ça va bien s'passer. C'est mon morceau du moment. Je l'écoute en boucle et il me donne la pêche comme dit mon ami primeur.
 Passé mon tour, plutôt que de dessiner le modèle, je dessine ceux qui le dessinent. C'est du Voguing dans le Voguing. Bien entendu, ce n'est pas noté. C'est juste un principe pédagogique pour conjuguer le verbe "voir" au temps "regarder". Une manière ludique de montrer que nous sommes présents au monde et que chacun mérite d'y être représenté: en musique, en traits, en rires, en mouvement, en immobilité, en compétence, en incompétence, en groupe, en individuel, en vanne, en ratage, en réussite, en ironie ...

jeudi 18 octobre 2018

Gueules de stages.












Comme chaque année, à la même époque, je me rends à l'ESPE (anciennement IUFM) pour participer à un stage de tuteurs. Car, comme chaque année, je dois accompagner un professeur stagiaire pendant toute son année qui lui délivrera sa titularisation. Comme chaque matin, je m'arrête à ma boulangerie préférée de tous les temps. Comme à chaque fois, je croise les mêmes. La France qui se lève tôt, chère à la droite (modérée). Comme de coutume, je salue le jeune primeur qui installe tout ce que la nature produit encore de bon. Comme pas d'habitude, il ne me tend pas la main. Comme surpris par cette attitude je lui demande.
- Ça va?
- Mi figue, mi raisin. Je suis malade comme un chien.
Je souris en me tournant vers les deux ouvriers attablés juste à côté de moi, sur la gauche. C'est aussi la France qui se lève tôt, la gauche. Ils portent un t-shirt siglé JM Électricité.
- Et vous, messieurs. Vous allez bien, ou vous êtes plutôt mi tournevis cruciforme, mi interrupteur?
Grand éclat de rire qui me comble pour le restant de ma journée.

dimanche 14 octobre 2018

Interlude graphique: le bureau des légendes...

Portrait réalisé de mémoire.

Ce matin au bureau de tabac.
Sur le comptoir du magasin, La Provence fait sa une avec ce titre accrocheur : Faut-il quitter les réseaux sociaux?. 
Le jeune vendeur demande avec une affectueuse provocation au vieux client placé devant moi.
- Alors, Monsieur J, il faut quitter les réseaux sociaux ou pas?
- Bien sûr.
- Mais avant de les quitter, il faut les avoir non?
- Quoi?
- Les réseaux sociaux.
- Bin oui!
- Alors, faut les quitter ou pas.
- Oui.
- Mais vous en avez?
- Mais tu me prends vraiment pour un imbécile. Sûrement que j'en ai.
- Ha bon?
- Oui, j'ai la sécurité sociale.

samedi 13 octobre 2018

Le génie des élèves et de ceux qui le furent: au musée des tapisseries, les élèves deviennent des motifs.











Cette année, avec les secondes option d'exploration patrimoines, nous travaillons sur le Musée des Tapisseries d'Aix-en-Provence. Tous les quinze jours, nous nous rendons sur les lieux afin de réaliser différentes productions plastiques, sonores, littéraires, etc... Une jeune plasticienne, dont j'apprécie particulièrement le travail, nous accompagne dans cette jolie aventure. Et moi, aventurier des terres connues et des mers immobiles, je dessine les lieux par les corps qui les habitent. Les élèves sujets deviennent des motifs et fleurissent sur les feuilles, sages comme des images.

mercredi 10 octobre 2018

Le génie des élèves et de ceux qui le furent: débarquer en cours comme une armée de croqueurs.





En deuxième heure, avec mon groupe d'option facultative d'arts plastiques de première, je donne comme consigne de débarquer dans le cours de ma collègue d'histoire des arts pour réaliser un carnet de voyage. Nous voilà 25 petits soldats armés de feutres et de feuilles encerclant nos victimes bien consentantes. Moi, je croque les assaillants et les assiégés avec un égal bonheur. Plus personne ne s'offusque de mes initiatives originales mais toujours inscrites dans un projet pédagogique. Notre séance est une plage de bonheur car tous les acteurs jouent le jeu.

mardi 9 octobre 2018

Le génie des élèves et de ceux qui le furent: La Mélancolie.





lundi 8 octobre 2018

Le génie des élèves et de ceux qui le furent: une histoire de cheveux.







 Je dépose ma femme à son travail. Je la regarde s'éloigner et ouvrir la grille de la porte d'entrée. Quelques mètres, quelques pas, et elle disparait en m'adressant un sourire plein de promesses. Marche arrière. Chemin creusé d'ornières. Quelqu'un me laissera passer. C'est lui, dans sa belle voiture allemande. Il me fait signe de la main. Je lui renvois la politesse d'une même main amicale. Je m'arrête à la boulangerie prendre mon cappuccino. J'aime bien les commises. Deux soeurs qui se ressemblent comme des jumelles mais qui ne le sont pas. Elles ont sept ans d'écart. L'une ou l'autre m'offre toujours une viennoiserie. Je suis gêné car cela devient systématique. Les clients me regardent d'un air étrange pas encore envieux, mais ça viendra. Je m'installe seul à la table que ma femme et moi occupons d'habitude. Elle dos au soleil et moi, en face. Ses cheveux, sous la caresse des rayons, ressemblent à une terre promise. Comme elle n'est pas là, j'observe un peu plus les gens qui m'entourent. Ce sont les mêmes, toujours les mêmes mais avec un WE en plus dans les dents. Certains s'apprêtent à partir travailler, d'autres resteront là toute la journée et mesureront le temps à mesure de le voir passer. Je suis très en avance. Alors je prends un peu du temps à ceux qui en ont trop. Il commence à pleuvoir. Je prends la route du collège. Me gare devant. C'est rare, j'en suis très heureux. Je me grille une dernière cigarette et fait un large sourire au monsieur de la maison d'en face. Il est assis dans sa cuisine avec un gros casque sur les oreilles et s'agite sur le clavier de son portable. Je sais pas ce qu'il fait dans la vie. Mais je l'aime bien. Il a une bonne gueule. Sa femme aussi est jolie. Ils forment un beau couple. J'ai vu la jeune mère enceinte. J'ai vu le bébé. Les parents et les beaux-parents devenir grands parents. J'ai vu la fillette en poussette. Grandir. Marcher. J'ai vu la jeune élève entrer en maternelle avec un joli cartable sur les épaules. J'aime cette famille. Je ne sais même pas leur nom. Mais je m'en fous. Je ne veux pas plus les connaître. Notre attention les uns pour les autres me comble de bonheur. Ils font absolument partie de ma vie. Parfois j'angoisse à l'idée qu'ils puissent se séparer. Je me vois sonner chez eux: non, ne faites pas ça. Vous êtes beaux et amoureux pour toujours. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Ne vous quittez pas. Vous ne trouverez pas mieux que vous ailleurs. Et quoique fut la faute de l'un ou de l'autre, je vous en supplie, gommez-la de votre réalité pour continuer à vivre votre passion. Oui, j'ai tendance à m'emballer lorsque il me semble toucher l'idée du bonheur. J'écrase ma cigarette. Saisis mes sacs et regagne ma salle. Devant la porte, trois, quatre et bientôt dix élèves m'accueillent.
- Monsieur on peut venir avec vous?
- Bien sûr, vous êtes ici chez vous.
 J'ouvre ma session d'ordi. Sors mon Zap Book.
- Qui je dessine?
- Moi, m'sieur!
- OK. Bouge plus.
- Après vous me ferez à moi?
- Oui!
- Et à moi?
- Oui!
- Et à moi?
- Oui!
Un élève de quatrième entre dans la classe.
- Bonjour m'sieur.
- Bonjour!
- C'est quoi ce temps. Il pleut. Il fait soleil. Il est bipolaire ou quoi.
Cette phrase me fait beaucoup rire. Et je reprends les traits serrés et en arabesque qui dans quelques minutes formeront la belle chevelure de mon modèle.

samedi 6 octobre 2018

Le génie des élèves et de ceux qui le furent: dessiner l'autre, c'est le révéler au monde.